Brève scientifique : MIT

Le Massachusetts Institute of Technology choisit la gratuité sur le Web

Fin septembre, le prestigieux Massachusetts Institute of Technology a mis en ligne le contenu d’une trentaine de cours – gratuitement et en accès libre. Le début d’une initiative ambitieuse, dont l’objectif est de favoriser « la libre diffusion des savoirs » dans le monde.

Comme la plupart des universités américaines, le Massachusetts Institute of Technology (MIT) n’a pas la réputation d’être gratuit.

Ce prestigieux établissement privé, qui compte parmi ses enseignants les plus grands noms de la recherche scientifique, impose des frais de scolarité d’environ 27 000 dollars par an. Et n’accepte que les étudiants les plus brillants.

Mais depuis le 30 septembre, il est possible de consulter sur Internet le contenu de certains cours du MIT – sans dépenser le moindre dollar et sans passer le moindre examen, et sans bien sûr obtenir aucun diplôme. L’université vient de lancer la phase pilote du projet OpenCourseWare : 32 cours ont été mis en ligne, sur des sujets aussi divers que l’hydrodynamique marine, la propagation des ondes ou encore la théorie linguistique appliquée à la langue japonaise. Chaque cours est présenté sous la forme d’un programme d’études et de notes plus ou moins détaillées, accompagnés de bibliographies, d’exercices et examens corrigés et de divers supports pédagogiques. Un professeur propose aussi des vidéos de ses conférences d’algèbre.

A première vue, l’initiative n’a rien de révolutionnaire : aux Etats-Unis et ailleurs, nombre d’universités ont déjà mis en ligne une partie de leurs ressources éducatives. Mais souvent, ces sites sont réservés à leurs étudiants. Ou bien ils relèvent d’efforts ponctuels. En comparaison, le projet OpenCourseWare du MIT se distingue par son ampleur (d’ici à 2006-2007, ce sont tous les cours du MIT, soit environ 2 000, qui devraient être publiés en ligne), son budget (un investissement initial de 11 millions de dollars sur deux ans, provenant de deux fondations), et sa gratuité.

« L’objectif du projet OpenCourseWare est de promouvoir la libre diffusion des savoirs au moyen des nouvelles technologies », explique Jon Paul Potts, responsable de la communication du MIT. « Nous encourageons les utilisateurs – enseignants, étudiants ou autodidactes de tous les pays – à télécharger le contenu de nos cours, à l’utiliser, à le distribuer et à l’adapter ou à le traduire en fonction de leurs besoins. » Avec une seule restriction : il est interdit d’utiliser ce contenu à des fins commerciales. En cela, le projet s’inspire directement du Free Software Movement (ndlr : Mouvement en faveur des logiciels libres de droits commerciaux ), qui compte d’ailleurs de nombreux défenseurs au sein du département d’informatique du MIT.

Le MIT ne cache pas ses ambitions : l’université espère, à terme, inspirer d’autres établissements à diffuser gratuitement leurs ressources éducatives et à créer un réseau mondial d’échange de connaissances, qui « bénéficiera à la qualité de l’enseignement dans le monde ». Le MIT mettra également gratuitement à la disposition d’autres universités les outils et l’architecture informatiques développés dans le cadre du projet. Afin d’aider des établissements moins fortunés à diffuser leurs ressources à moindre coût.

Dans l’immédiat, la mise en ligne des trente-deux premiers cours semble avoir été très favorablement accueillie. Au 15 octobre, 220 000 internautes avaient consulté le site d’OpenCourseWare. Les responsables du projet indiquent avoir reçu plus de 2 500 messages d’encouragement et de remerciements d’instructeurs et d’étudiants, « originaires de 177 pays et de tous les continents, Antarctique compris ». Quant aux enseignants du MIT, certains hésitaient au départ à diffuser sur Internet le fruit de nombreuses années de travail. Mais « dans l’ensemble, affirme Jon Paul Potts, la grande majorité d’entre eux sont favorables au projet et à sa philosophie. Et ils restent maîtres de leurs droits d’auteur ». Les premiers participants se montrent enthousiastes. « L’échange d’informations et de méthodes entre enseignants et chercheurs ne peut être que bénéfique », explique Paul Sclavounos, professeur d’architecture navale à MIT. « Le projet permet aussi d’établir des standards, des références… Toute personne intéressée peut savoir ce qu’il faut absolument connaître dans une discipline donnée. »

Difficile alors de ne pas faire de comparaison. Beaucoup d’étudiants d’autres établissements se sont empressés de regarder si les cours de maths ou d’informatique de leur université étaient à la hauteur de ceux de MIT. Sur un forum en ligne, plusieurs ont reconnu que l’enseignement du MIT était plus « intensif », plus « approfondi ». Mais la comparaison aura au moins permis à un étudiant de « démythifier MIT », qui offre au bout du compte les mêmes cours que son université.

Le projet OpenCourseWare suscite également un certain intérêt à l’échelle internationale. L’Unesco et la Banque mondiale, en particulier, ont conscience des nombreux avantages que les pays en développement pourraient tirer de la libre diffusion des savoirs et coopèrent avec le MIT. Au cours d’un forum organisé en juillet dernier à l’Unesco sur « l’usage des didacticiels libres dans les pays en développement », certains participants ont toutefois indiqué qu’il faudrait non seulement traduire, mais aussi adapter le contenu des cours du MIT à d’autres culture et méthodes d’enseignement, ainsi qu’aux moyens souvent limités dont disposent les universités des pays en développement.

A Madrid, Andrés Pedreño Muñoz, directeur d’Universia.net, une fédération de 650 universités d’Espagne, d’Amérique latine et du Portugal, applaudit également l’initiative. Il note cependant que l’obstacle de la langue « risque d’empêcher de nombreux utilisateurs de pays hispanophones ou lusophones de tirer pleinement parti de cette initiative ». Universia.net étudie actuellement avec le MIT comment faire profiter au mieux ses membres du projet OpenCourseWare.

Après des débuts prometteurs, le projet du MIT fera-t-il des émules ? « Aux Etats-Unis, il n’est pas sûr que beaucoup d’universités cherchent à suivre l’exemple du MIT », répond Martin Irvine, fondateur du programme Communication, culture et technologie de l’université de Georgetown (Washington). Car, même en bénéficiant des outils informatiques mis au point par le MIT, un tel projet représente un énorme investissement sur le plan technologique, financier et administratif. L’obtention de droits de reproduction est à elle seule un véritable casse-tête. Par exemple, pour un seul cours sur l’art islamique (prochainement mis en ligne), le MIT a demandé auprès de multiples sources l’autorisation de reproduire 750 photos, mobilisant une équipe entière de chercheurs et spécialistes de la propriété intellectuelle.

Mais, d’après Martin Irvine, le projet OpenCourseWare pourrait inciter d’autres universités américaines de renom à finalement adopter une stratégie en ligne. Parmi les universités privées les plus sélectives des Etats-Unis, beaucoup semblent en effet penser qu’une diffusion en ligne – même payante – de leur enseignement serait contraire à leur vocation et à leur tradition d’élitisme.

En attendant, les dirigeants du programme rappellent volontiers qu’OpenCourseWare n’est pas du tout un programme d’enseignement en ligne. Il ne remplace en aucun cas des études sur le campus de MIT. Car la qualité d’un enseignement – au MIT ou ailleurs, en ligne ou dans une salle de classe – n’est jamais une simple affaire de contenu. Les étudiants du MIT – ceux-là mêmes dont la scolarité coûte 27 000 dollars par an – en sont les premiers conscients. Eux aussi se sont montrés favorables au projet. Ils savent également qu’OpenCourseWare a de fortes chances d’accroître encore le prestige de leur université dans le monde.

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Sources

– Article écrit par Chantal Dussuel et paru dans le quotidien le Monde (http://www.lemonde.fr)
– http://ocw.mit.edu
– http://www.universia.net

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