Actualité scientifique : Laboratoires sur puces

Des laboratoires sur puces

Les analyses médicales en un clin d’oeil

Elle vient d’arriver en France et ne mesure que quelques centimètres carrés. Cette puce est pourtant un véritable laboratoire d’analyses rapide et performant.

Alors que les puces électroniques n’en finissent pas d’envahir notre quotidien, d’autres puces d’un nouveau genre apparaissent en biologie: les LOC, autrement dit les lab on a chip ou, en français, les «laboratoires sur puces». Ou encore «labopuces», pour faire court. Sur quelques centimètres carrés, ces dispositifs intègrent l’ensemble des fonctions d’un laboratoire d’analyse de biologie ou de chimie : préparation des produits, réactions chimiques, transfert des liquides, séparation des nouveaux produits et, au final, identification. Ce qui d’ordinaire nécessite des heures, plusieurs instruments et d’importantes quantités de réactifs n’est plus que l’affaire d’une dizaine de minutes sur un seul appareil et de quelques picolitres de liquide. Adieu éprouvettes, pipettes, étuves et autres séquenceurs d’ADN. Le métier et l’environnement du biochimiste vont changer, comme ceux du médecin de ville d’ailleurs. Car la simplicité de ces puces permettra à celui-ci de faire, au chevet du malade, les analyses sanguines ou génétiques nécessaires, voire la détection des virus ou des bactéries responsables de la pathologie. Bref, diagnostiquer une angine ou une méningite sera aussi rapide qu’une prise de tension. Quel progrès !

La première de ces nouvelles puces vient d’arriver. Fabriquée par l’entreprise américaine Caliper, elle est commercialisée par Agilent. A première vue, elle ne paye pas de mine : un simple morceau de verre. Très performant, cependant. Sur cette puce, différents fragments d’ADN inconnus sont injectés. Là, ils sont séparés selon leur taille dans les microcanaux gravés dans le substrat, puis ils sont identifiés par un laser qui provoque leur fluorescence. Couplée à un ordinateur, la puce donne ses résultats en moins d’une demi-heure pour une dizaine d’échantillons simultanément, contre plusieurs heures avec les techniques classiques.

Mais la vitesse n’est pas le seul avantage de ces labopuces. Automatiques, écologiques (moins de réactifs dangereux ou polluants utilisés), autonomes et pas chères, ces puces ne manquent pas d’atouts. Mais comment en étant plus petit, peut-on finalement être meilleur ? Pour la chimie proprement dite, réduire le volume où a lieu une réaction ne change rien. En revanche, pour la physique, si. Dans un liquide, les molécules sont soumises à une agitation aléatoire qui les conduit, au bout d’un certain temps, à avoir parcouru tout le volume. Or, la loi de diffusion prévoit que s’il faut une milliseconde en moyenne à une molécule pour parcourir un micromètre, il lui faudra mille secondes, soit un million de fois plus, pour parcourir un millimètre, c’est-à-dire une distance mille fois plus grande. Du coup, tout se passe comme si les produits circulaient plus vite sur la puce que dans le laboratoire. De plus, en réduisant le volume de la réaction, la probabilité de rencontre entre réactifs augmente, donc la réaction elle-même semble aller plus vite.


lecture d’une biopuce avec le système lightScan

Voilà pour les principes d’une nouvelle discipline baptisée «microfluidique». Reste la pratique. Depuis des dizaines d’années, les entreprises de microélectronique savent dessiner des objets de taille micrométrique, que ce soit sur du verre, du plastique ou du silicium. Comme ici circulent des brins d’ADN et non des électrons, nul n’est besoin d’utiliser les techniques nanométriques : le micromètre suffit. La communauté de la microélectronique s’est donc jetée sur ces nouvelles puces. Hewlett-Packard a, par exemple, cofinancé le projet de Caliper. En France, STMicroelectronics (filiale de Thomson) a frappé à la porte du Laboratoire d’électronique et de technologie de l’information (Léti) du CEA, à Grenoble, pour un projet encore plus ambitieux. La puce intégrera une PCR (polymerase chain reaction), sorte de photocopieur d’ADN, et au final une puce à ADN, c’est-à-dire une matrice permettant d’identifier des gènes. Pour une PCR, il faut contrôler la circulation des réactifs, prévoir un réservoir avec divers agents chimiques, et surtout ajuster la température à quelques degrés près sur quelques micomètres. Le prototype fonctionne, et il reste encore à convaincre de nouveaux partenaires pour achever le développement.

Un autre chercheur français, Stanislas Krawczyk, du Laboratoire d’électronique, optoélectronique et microsystèmes à l’Ecole Centrale de Lyon, désire pousser l’intégration encore plus loin : introduire le laser de lecture directement dans la masse de la puce. «Ce projet est très motivant, car il nécessite de réunir plusieurs compétences, en biologie, en optoélectronique ou en micro-fluidique. Ça me change aussi de mes précédentes recherches», souligne le physicien. L’interdisciplinarité est donc de mise pour faire fructifier des idées riches d’applications. «Les labopuces se développent selon deux axes: celui du haut débit et celui du diagnostic», résume Pierre Puget, responsable des programmes biopuces au Léti. En diagnostic, les marchés sont connus :
santé (détection d’anomalies génétiques, repérage de virus…),
environnement (identification de polluants),
agroalimentaire (présence de listeria) et, plus récemment,
le marché du bioterrorisme, avec la détection d’agents infectieux comme Bacillus anthracis ou le virus de la variole.

Ici seront privilégiés le bas coût, la portabilité et le caractère jetable. Pour le haut débit, les clients sont plutôt les laboratoires de recherche en pharmacologie en quête de tout outil accélérant la découverte de nouveaux médicaments.

Devant tant de prouesses, certains osent la comparaison avec l’invention du circuit intégré qui fit rentrer une salle de calcul des années 60 dans une simple calculatrice de poche. Small is beautiful.

Une merveille d’intégration

Sur un support en plastique, verre ou silicium, sont gravés au micromètre près les différents éléments reproduisant les fonctions du laboratoire de biologie ou de chimie : chambre de réaction, séparation des produits, identification des molécules… Dans les microcanaux, le fluide est parfait : pas de turbulence. L’intégration de toutes ces fonctions accélère l’analyse. Et plusieurs puces peuvent fonctionner en parallèle.

Puces à ADN et labopuces

Ne confondons pas «puces à ADN» et «labopuces». Les premières sont déjà largement commercialisées, alors que les secondes sont seulement en passe de l’être. Surtout, les puces à ADN peuvent être intégrées sur les labopuces. Elles sont des matrices constituées de plusieurs milliers de réservoirs remplis de fragments de simples brins d’ADN de séquences connues. Lorsqu’un échantillon inconnu est introduit, il se lie aux séquences complémentaires. Il suffit alors de repérer, en général par fluorescence, dans quelles cases l’union a eu lieu pour connaître l’identité du produit testé. En la matière, la concurrence est rude, et pour se lancer, il vaut mieux avoir un portefeuille de brevets bien rempli. La première entreprise française, Apibio, s’est créée l’an dernier avec une trentaine de brevets exclusifs et autant de partagés. Genometrix et Packard se sont au contraire retirés de la course devant la panoplie de brevets du leader, Affymetrix. D’autres suivront, car beaucoup de brevets sont encore en zone grise, c’est-à-dire non publiés.

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Sources

– Article tiré de la revue « Sciences et Avenir », février 2002 – N° 660 – Comprendre, de David Larousserie, Site web: http://www.sciencesetavenir.com/articles/p660/a9127.html
– Laboratoire Léti du CEA, site web : http://www-dta.cea.fr/Leti/Leti-FR/M_ACTIV/m_1e.htm

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